Anna Charlotte Lechanal vint au monde le 10 août 1916 à Strasbourg, au sein d'une famille de la haute bourgeoisie alsacienne. Fille unique, elle se démarqua très tôt des autres fillettes de son âge par son caractère bien trempé ; chose que ses parents, Charles et Adélaïde, tentèrent en vain de brimer. Sans succès, évidemment : Anna avait en réalité bien trop de caractère pour se laisser influencer par quiconque. Elle eut une enfance et une adolescence privilégiée, dans le quartier riche de sa ville natale qu'elle ne quitta jamais. Elle avait relativement peu d'amis, mais parmi eux se trouvait une certaine Lucie. Lorsque celle ci quitta la France pour l'Angleterre, elle continuèrent de correspondre par lettres. Et la jeune Lechanal continuait de grandir, heureuse en dépit de ses parents étouffants et d'un climat tendu entre la France et son voisin, l'Allemagne. Pour autant, les Lechanal ne se montraient pas méprisants envers les Allemands, contrairement à d'autres alsaciens dont le souvenir de la Grande Guerre était toujours vivace : la famille de bourgeois était protestante luthérienne et en conséquence, tenaient le pays outre-Rhin en haute sympathie. La belle reçut une excellente éducation, proportionnelle au morte-monnaie de ses parents : littérature, langues vivantes, sciences, religion, philosophie, musique, tout y passait, tout était mis en oeuvre pour faire d'elle une parfaite bourgeoise à l'image de sa mère. Seulement l'indomptable caractère d'Anna posait problème à ses géniteurs, qui craignaient que leur petite princesse et unique enfant ne finisse vieille fille. Pourtant, la brunette apprit bien vite l'art de dissimuler ses sentiments. Et Anna Charlotte Lechanal continua de grandir, sous l'oeil attentif de ses parents, de sa mère en particulier qui tenait à faire de sa progéniture une parfaite lady à la française.

Elle avait tout juste vingt ans quand Adélaïde l'envoya faire un séminaire au large du Rhin. Si cela ne l'enchantait guère, Anna obtempéra aux ordres de sa mère et s'y rendit, avec un rien de mauvaise grâce... Qui s'évanouit à l'instant même où Lukas Heimrich entra dans son champ de vision. L'Allemand protestant, issu lui aussi d'un milieu aisé, était âgé de vingt-sept ans et déjà haut dignitaire. Ce fut un véritable coup de foudre digne des grands romans romantiques ; et comme les sentiments étaient réciproques, le mariage fut célébré seulement quelques mois après. Ce fut sans doute la cérémonie la plus onéreuse qui soit, car les parents Lechanal ne lésinèrent pas sur les moyens. Charles et Adélaïde étaient ravis : leur petite princesse avait trouvé son prince charmant, elle ne finirait pas vieille fille, qui plus est la situation du jeune homme était idéale pour le couple bourgeois. Quant à Anna, elle nageait en plein rêve, elle était amoureuse, elle était heureuse, elle allait avoir la vie qu'inconsciemment, elle avait toujours voulu avoir. Libérée de la surprotection de sa famille, elle allait pouvoir vivre comme elle l'entendait au bras de l'homme le plus merveilleux de la Terre. Car c'était ainsi qu'elle le voyait alors... Avant que tout ne bascule et que le rêve ne devienne cauchemar. Bien vite, la belle comprit que son époux était un monstre de la pire espèce. Certes, il l'aimait, mais comment pouvait-il justifier le fait d'adhérer à cette idéologie hitlérienne, d'adhérer à ses principes barbares et sanglants, et pire, de les approuver ? Lukas lui donnait tout ce qu'elle voulait, tout ce dont elle avait envie, il l'aimait, oui, il l'aimait, mais aux yeux d'Anna, cela ne suffisait pas. Son mari était un des membres les plus extrémistes, les plus virulents de ce Reich dont elle avait horreur. Mais comme elle était bonne comédienne et ne se laissait jamais abattre, elle joua le jeu, continua d'être la parfaite femme au foyer, la parfaite épouse. L'Allemand était heureux de voir que sa chère et tendre adhérait elle aussi à ses principes qui lui tenaient tant à coeur. Ce que l'homme ignorait cependant, c'est qu'Anna était devenue résistante. Grâce à Lucie, son amie d'enfance qui désormais vivait en Angleterre, elle parvint à faire passer des informations aux Alliés. Ses premières tentatives furent vouées à l'échec mais à force de persévérance et avec le concours de Lucie, ses transmissions furent prises en considération. Ainsi la belle et riche Anna Heimrich, épouse d'un des plus hauts dignitaires du IIIème Reich, entra dans la Résistance française. Ce n'était pas facile pour la belle, mais plus la guerre avançait et plus son mari ressemblait à ses hommes stupides, adorateurs d'Hitler et partisans de ses ignominies. Et malgré tout l'amour qu'elle avait -et qu'elle avait encore, pour son plus grand désespoir- à l'égard de Lukas, jamais elle ne regretta d'avoir pris les devants. Pour son pays, pour la liberté de la France et celle des Français, elle devait continuer à résister, envers et contre tout... Même contre les élans de son propres coeur.